jeudi 28 février 2013

Un livre un jour


Pour sa première émission Un livre un jour diffusée sur FR3 le 9 septembre 1991, Olivier Barrot avait choisi de présenter le 16e volume de l’œuvre romanesque de Georges Simenon publiée aux Presses de la Cité. Les archives de l'INA nous permettent de retrouver cette émission :

www.ina.fr/video/CPC91011740

mercredi 20 février 2013

Cahiers de L'Herne "Georges Simenon"




Comment j’ai réalisé un certain numéro 
des Cahiers de l’Herne consacré à Simenon
Laurent Demoulin

Lorsque les éditrices qui président aux fameux Cahiers de l’Herne m’ont contacté, j’ai ressenti une vive émotion. Il s’agissait pour moi d’une référence de premier ordre : ainsi, par exemple, dans ma thèse, ai-je cité plus souvent qu’à son tour le Cahier consacré à Francis Ponge. Il me semblait tout à fait étonnant que Simenon n’ait pas encore eu droit à son Cahier de l’Herne[1]. Et franchement incroyable que me soit donnée la possibilité de combler ce manque. Bien vite, toutefois, je me suis rendu compte de l’ampleur et de la difficulté de la tâche.
C’est que – les lecteurs du Bulletin simenonien ne me contrediront pas – la littérature secondaire consacrée à Simenon ne manque pas. Entre les Cahiers Simenon des Amis, la revue Traces de l’Université de Liège et les ouvrages qui paraissent chaque année, peu de territoires vierges semblent se prêter à l’exploration. Les éditrices me demandaient, avec raison, de concevoir le Cahier de L’Herne Simenon comme une présentation générale de l’homme et de l’œuvre, mais deux catalogues d’exposition consacrés au père de Maigret, qui présentaient ce caractère de généralité, venaient de voir le jour.
J’avais, en outre, envie de satisfaire à la fois le savant et le profane, le nouveau venu et le vieil habitué, l’amateur de romans policiers et de romans durs, le fin lettré, l’érudit et le collectionneur, etc. Au lecteur de me dire si j’y suis parvenu peu ou prou : je me suis tellement plongé dans ce travail qu’il m’est impossible d’avoir le moindre recul sur le résultat obtenu. Je croirai ce que l’on m’en dira.
Je peux seulement évoquer ici les stratégies que j’ai exploitées pour tenter d’atteindre mon but. Lors d’une réunion à bâtons rompus avec Laurence Tacou et Pascale de Langautier, les éditrices, il a été décidé de diviser le Cahier en six parties : l’une d’elle laisserait la parole aux spécialistes de Simenon et une autre, voisine, à des universitaires ne s’étant jamais penché sur son œuvre. Une troisième section serait faite d’une enquête réalisée par mes soins auprès d’écrivains contemporains pour essayer de savoir à quel point Simenon est lu par ses successeurs. Ensuite, il fallait que Simenon soit présent : les éditrices me confièrent la mission de trouver des textes rares et des inédits, ce que faciliterait, bien entendu, mon métier de conservateur du Fonds Simenon. Ces textes pouvaient être complétés par des entretiens. Comme dans de nombreux Cahiers de l’Herne, quelques grands papiers seraient ensuite reproduits. Enfin, l’on songea à éditer quelques lettres issues de la correspondance adressée à Simenon par ses pairs.
Par la suite, quand le sommaire commença à se remplir, Pascale de Langautier me fit remarquer que le Cahier serait plus dynamique si l’on mélangeait ces six sections en fonction de rapprochements thématiques. J’ai suivi ce judicieux conseil et la table des matières actuelle est structurée par les sous-titres suivants : « Une vie plurielle », « Tous les degrés de la littérature », « Variations autour de Maigret », « Contes des Mille et un Matins », « Quelques singularités captivantes », « Correspondance » et « À la croisée d’une œuvre ». Mais, pour commenter encore un peu mon travail, je vais me référer ici aux six parties qui l’ont charpenté quand la construction était en cours.
Un mot sur les articles des spécialistes : d’abord, il faut préciser que je n’ai pu tous les inviter, cette section ne pouvant grever les autres, mais je suis parvenu tout de même à réunir un bon nombre d’entre eux : Bernard Alavoine, Pierre Assouline, Danielle Bajomée, Michel Carly, Benoît Denis, Jacques Dubois, Jean-Louis Dumortier, Laurent Fourcaut, Jean-Marie Klinkenberg, Danièle Latin, Michel Lemoine, Paul Mercier, Dominique Meyer-Bolzinger et Dick Tomasovic. Puisqu’il fallait demeurer général, je leur ai demandé de prendre du recul, de synthétiser leur travaux et non de se concentrer sur un point précis qui prolongerait ceux-ci. En marge de ces chercheurs qui ont tous déjà publié des articles ou des ouvrages sur Simenon, j’ai convié dans ce Cahier Véronique Rohrbach, future grande spécialiste de l’auteur, qui est en train de réaliser une thèse au sujet du courrier de ses lecteurs : un abstract de ce travail en cours se trouve donc dans L’Herne. Le rôle des chercheurs se penchant pour la première fois sur Simenon est joué par Paul Aron, qui étudie les pastiches, et par David Vrydaghs, qui compare Maigret à Jarry.
J’ai eu beaucoup de plaisir à interroger les écrivains contemporains au sujet de Simenon : certains ont décliné, bien sûr, d’autres n’ont pas réagi du tout, mais plusieurs d’entre eux se sont montrés enthousiastes et ont très aimablement répondu à mes questions. Et pourtant, j’ai contacté des auteurs occupant des places très diverses dans le monde des lettres. Qu’on en juge par leur nom : Jean-Baptiste Baronian, Emmanuel Carrère, Philippe Claudel, Jacques De Decker, Philippe Delerm, Bernard Gheur, Christine Montalbetti, Patrick Roegiers, Eugène Savitzkaya et Jean-Philippe Toussaint. J’ai rencontré les uns, interrogé les autres par téléphone ou par mail, tandis que d’autres encore m’ont directement écrit un texte. Il me semble que ces entretiens non seulement disent quelque chose de Simenon, de son œuvre telle qu’elle se patine avec le temps, mais aussi de la littérature d’aujourd’hui.
Je ne vais pas citer ici tous les inédits et tous les textes rares que j’ai rassemblés (avec l’aide de Michel Lemoine, cela va sans dire). Je vais me contenter d’un épingler un : l’étrange prologue de l’adaptation théâtrale de La neige était sale, qui donne de ce grand roman un éclairage tout à fait étonnant. Quant aux entretiens, je soulignerai le contraste de ton entre l’interview serrée menée par Bernard Pivot, qui pousse l’écrivain dans ses derniers retranchements, et la désinvolture bonhomme qui préside à la discussion réunissant Simenon et son ami le professeur Maurice Piron. Ces deux enregistrements datent de la même époque, mais ils montrent deux facettes du même homme.
Enfin, les grands papiers et la correspondance ouvrent deux fenêtres historiques sur des contemporains de Simenon tels que Brasillach, Gide, Mauriac ou Max Jacob.

Quel est mon état d’esprit en me retournant à présent sur le travail accompli ? Alors que, en commençant, je me disais avec inquiétude que tout avait été dit et redit au sujet de Simenon, étrangement, en ajoutant un volume à cette abondante bibliographie critique, j’ai l’impression d’avoir creusé un canal et non d’avoir bouché un trou : tout reste à faire et l’on pourrait déjà en préparer un second, de Cahier de l’Herne Simenon !
Cahier de L’Herne Georges Simenon, n° 102, dirigé par Laurent Demoulin. Paris, Éditions de L’Herne, 2013, 27 × 21 cm, 288 p., 39 €.


[1] Du vivant de Simenon, un projet de Cahier avait d’ailleurs vu le jour : le Fonds Simenon possède une lettre, datée du 19 avril 1969, dans laquelle l’écrivain déclare que ce serait pour lui un grand honneur de faire l’objet d’une telle publication. Mais le projet n’avait pas été mené à terme.